Sanctions américaines : Dan Gertler-Afriland First Bank, association interdite (Tribune)

Depuis la publication du rapport “sanctions mine de rien” par les ONG PLAAF et Global Witness, les réactions fusent de toute part. En dépit de la plainte déposée par la Afriland First Bank à Paris, la polémique ne faiblit pas. La lutte s’est téléportée sur le terrain des médias des réseaux sociaux où les protagonistes s’étripent à coups des teasers et tweets aggressifs.

D’un côté le milliardaire israélien Dan Gertler, sous sanctions du trésor américain; de l’ autre côté les ONG de lutte contre la corruption, accusės, à tort ou à raison d’être au service d’un autre milliardaire, Georges Soros, grand sponsor de mouvements dits citoyens. Entre ces deux mastodontes se trouve coincėe Afriland First Bank CD, filiale du groupe bancaire camerounais que j’ai appris à connaître en 2005 en tant que l’un des pionniers de son implantation en RD Congo.

Nous sommes à l’agence centrale de Bonanjo à Douala en septembre 2005. Les horaires de service à Kinshasa d’où je venais étaient généralement de 8h00′ à 16h00′ avec une pause d’une heure entre midi et quatorze heures. Toutefois, grâce à une bonne rotation, la continuité des services était assurée pour servir les clients. Voir la banque fermer ses portes à la clientèle à midi pour les ouvrir après deux heures de pause était surprenant pour moi. Plus grande fut encore ma surprise, quand du haut de mon appartement situé au 9ème étage de l’immeuble Bulls, je constatai une longue file d’attente des clients qui attendaient l’ouverture des guichets plusieurs minutes en avance. C’était impressionnant de voir un lien affectif si fort entre une banque et sa clientèle.


Au cours d’un long séjour de formation et d’immersion à la philosophie du groupe, je découvris l’histoire extraordinaire de cette banque panafricaine créée en 1987 par le Dr Paul Kammogne FOKAM. L’homme porte plusieurs casquettes (Scientifique, Banquier, Assureur, Écrivain, promoteur académique, etc.). Difficile de rester indifférent devant un tel parcours atypique et fascinant . Mon séjour au siège du groupe coïncida avec la publication de son ouvrage “Quant l’Afrique se réveillera”. L’achat de ce bouquin nous a presque été imposé dans le cadre du « bizutage » . C’est après l’avoir lu que j’ai compris la vision de cet homme pour l’Afrique et sa perception des affaires obsédée par la lutte contre la pauvreté et l’émergence d’une classe d’entrepreneurs africains.

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Quelques mois après, la filiale congolaise fut lancée à Kinshasa au mois de janvier 2006. Des débuts très difficiles. Les pertes de deux premiers exercices obligèrent même la Banque Centrale du Congo à nommer deux représentants provisoires pour accompagner l’exécution d’un plan de redressement et éviter la liquidation de la Banque. En dépit de la situation qui paraissait chaotique à nos yeux, les promoteurs affichaient un calme et un optimisme hors du commun. Ils n’ont pas cessé de répéter que l’effort et l’intégrité finiront par produire leurs fruits. Trois ans après, la banque réussit à sortir la tête de l’eau grâce notamment à une opération de crédit véhicules aux députés nationaux de la législature 2006-2011.

Au cours de la même période, c’est une icône du secteur bancaire congolais en la personne de Pascal Kinduelo qui décida de vendre sa banque à un groupe d’investisseurs immatriculés aux Îles Vierges britanniques BSG ( Benny Steinmetz Group) et DGI (Dan Gertler International). Le Jeune milliardaire Israélien n’est donc pas un nėophyte du monde bancaire congolais. Il en connaît les rouages et les arcanes au point qu’il parvint à revendre la Banque Internationale de Crédit au géant groupe Nigérian FBN Bank.

Les allégations contenues dans le rapport «  sanctions mine de rien » sont très graves et justifient le choix de la banque de porter l’affaire devant la justice française. S’il est avéré que la loi et l’éthique ont été violėes par les rédacteurs dudit rapport, l’opprobre serait sans pareil pour des organisations censées prêcher par l’exemple. Une accusation sans preuves ou sur bases de preuves falsifiées est criminelle. Cependant, en cas de confirmation des faits denoncės dans le rapport, les conséquences seraient désastreuses pour la banque. Les sanctions américaines contre Afriland First Bank, au-delà des astreintes financières, ruineraient sérieusement une image de marque construite au prix de dur labeur.

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Dans cette fâcheuse et non souhaitable éventualité, que risque réellement l’homme d’affaires israélien? Depuis l’application de la loi Global Magnitsky contre Dan Gertler, ce dernier a prouvé qu’il a du répondant. Il est évident que ses affaires peuvent survivre à l’embargo du trésor américain. Ses bras sont tellement longs qu’il peut même s’offrir les services de l’ancien patron du FBI pour militer en sa faveur.

Il est donc crucial pour la banque de réajuster sa ligne de communication et de marquer une nette rupture de son image avec ce personnage sulfureux. S’il est établi que l’avocat français de Afriland First Bank, Éric Moutet défend egalement les intérêts de Dan Gertler tel que présenté au Journal Afrique de TV5, c’est un mélange maladroit et malsain qu’il sied de vite corriger. Par ailleurs, à la lumière des clips de propagande et le flot des publications hostiles à Georges Soros, aux ONG Global Witness et PLAAF, il se dégage une vraisemblable coordination des éléments de langages et associations d’images qui concluent à un front commun Dan Gertler et Afriland First Bank.

Il serait scandaleux et inimaginable que la Banque ait bafoué ses valeurs en s’acoquinant délibérément avec le tycoon israélien. Par contre, si elle a été abusée et que son dispositif de lutte contre blanchiment des capitaux a présenté quelques déficits dont un requin du monde finances a su tiré profit; cette faiblesse constituerait des circonstances atténuantes compréhensibles par l’opinion.

En effet, au-delà du front judiciaire, la bataille de la préservation de l’image reste vitale pour une institution financière et le secteur bancaire dans l’ensemble. Les clients déposants des banques sont des oiseaux apeurés qu’il faut rassurer. Il faut prévenir l’effet de contagion et un risque systémique dommageable à une économie déjà fragile.

Stéphane L. Manzanza
Banquier et Militant Anti Corruption

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