RDC : Plaidoyer pour la dissolution de la CENI, 5 arguments et propositions de Godefroy Mwanabwato (Tribune)

 

Juriste et Président Honoraire du Parti d’Union Républicaine
Le manque de consensus constaté dans le chef des confessions religieuses et de la classe politique autour de la désignation des animateurs de la CENI en ce mois de juillet 2021, soit à deux ans seulement de la tenue des scrutins, est venu sonner le glas d’une foi aveugle du constituant de 2006 au miracle des Commissions Electorales Indépendantes comme outils de résolution des crises nées de la contestation de la légitimité des gouvernants dans notre pays.
Le voile est enfin tombé et nous n’avons que nos yeux pour lire aujourd’hui le message que nous affiche la CENI à grands caractères : « NOUS AVONS ECHOUE ».
Face à ce cuisant échec collectif, il ne faut pas baisser les bras. Il faut, par contre, toute peur bue, s’armer de courage pour voir la réalité en face et tenter des réformes radicales mais nécessaire. C’est cet état des lieux qui motive les développements ci-dessous :

LES CINQ ARGUMENTS

LES PREMIERES ELECTIONS DE LA RDC N’ONT PAS ETE ORGANISEES PAR UNE COMMISSION ELECTORALE INDEPENDANTE


Les premières élections et les premiers référendums organisés en République Démocratique du Congo ne l’ont pas été par une Commission Indépendante (1957, 1959, 1963, 1964, 1965, 1967,1970, 1975, 1977, 1982,1984 et 1987). Elles n’ont été ni plus problématiques ni plus contestées que celles de 2006, 2011 et 2018 organisées par les commissions sensées être plus indépendantes. La vocation de la jeune République Démocratique du Congo avait été u début des années 60 de confier l’organisation de ses élections à un organe gouvernemental et non à une Commission Electorale.

LES COMMISSIONS ELECTORALES INDEPENDANTES SONT UNE EXCEPTION ET NON UN PRINCIPE

Selon la typologie utilisée par l’organisation intergouvernementale de promotion de la démocratie International IDEA dans son manuel Concevoir la gestion électorale : le manuel d’IDEA international (2006), les trois modèles de gestion électorale sont le modèle indépendant, le modèle mixte et le modèle gouvernemental.
Le modèle indépendant a fleuri en Afrique au début des années 1990 lors de l’avènement du multipartisme. Au regard de l’expérience louable de l’Afrique du Sud postapartheid, les Commissions Electorales Indépendantes avaient foisonné en Afrique avec, en théorie, pour mission d’organiser en toute indépendance des scrutins au-dessus de tout soupçon.
C’est pour cette approche qu’a opté le constituant de 2006 afin de favoriser un scrutin transparent, libre et démocratique au sortir des guerres qui ont miné le pays entre 1998 et 2001, ceci sans en faire un principe pérenne mais une exception conjoncturelle.

LA CEI N’A PAS ATTEINT L’OBJECTIF POUR LEQUEL ELLE A ETE INSTITUEE PAR LE CONSTITUANT DE 2006

En 2006, il convient de signaler qu’en plus de la contestation des animateurs initiaux, les irrégularités constatées dans l’organisation du processus électoral ont beaucoup entamé l’image sociale de l’Eglise catholique, spécialement celle de l’Abbé Malu Malu, Président de la CEI, et d’autres membres du clergé et des religieux qui dirigeaient les bureaux de vote au niveau provincial et local, compromis dans les cafouillages et la corruption en faveur de certains candidats.
Le Cardinal Frédéric Etsou, Archevêque de Kinshasa, dénonça pareille situation et recommanda aux membres de la CENCO, d’envisager qu’ « à partir de l’an 2007 et dans le futur de ne concéder à aucun prêtre congolais l’autorisation de travailler dans les structures « politiques » au niveau national et provincial».
En plus de ce qui précède, les altercations qui ont opposé les partisans de Jean-Pierre Bemba et de Joseph Kabila après les élections et qui ont fait plus de 200 morts à Kinshasa en mars 2007 n’ont fait qu’exacerber la contestation de la crise de légitimité au lieu de l’atténuer tel que voulu par le constituant.

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LA CENI A EXACERBE LES CRISES NEES DE LA CONTESTATION DE LA LEGITIMITE DES GOUVERNANTS

L’une des motivations essentielles à la base de l’instauration de la troisième république reste la nécessité de mettre fin aux crises récurrentes nées de la contestation de la légitimité des gouvernants en République Démocratique du Congo.
C’est en vue d’atteindre cet objectif qu’ont été mises en place des institutions d’appui à la démocratie parmi lesquelles la CEI (devenue CENI) dont le statut choisi a été celui d’un organe indépendant.
Cependant, entre 2011 et 2021, le fonctionnement de cet organe a eu des effets contraires à celui escompté à savoir :
La contestation répétée et prévisible de ses animateurs de quelque camp de la société civile qu’ils viennent ;
La contestation des résultats électoraux ;
L’impossibilité du consensus dans les décisions de ses organes en raison de leur politisation à outrance.
Tels n’ont pas été les objectifs poursuivis par le constituant en instaurant cette institution d’appui à la démocratie devenue, au fil du temps une institution de déni de la démocratie.

LE COUT DE L’ORGANISATION DES ELECTIONS PAR LA CENI TOUS LES CINQ ANS EST INSUPPORTABLE

Après les trois premiers cycles électoraux organisés dans notre pays, il ressort un constat unanime : les élections, telles qu’elles sont organisées dans notre pays, coûtent trop cher. Il est nécessaire aujourd’hui de trouver des mécanismes institutionnels pour non seulement arriver à autofinancer nos élections en en réduisant les coûts mais aussi en les budgétisant chaque année dans la Loi des finances sans attendre les deux dernières années pour se lancer à la va-vite vers la mobilisation des fonds nécessaires. L’un des éléments à la base du coût élevé des élections reste l’enrôlement répétitif et les révisions successives du fichier électoral.

LES DIX PROPOSITIONS

La remise en question est le point de départ de toute révolution. Lorsqu’une théorie ne concorde pas avec les faits, il faut abandonner la théorie et aller vers les faits. L’enchantement des Etats africains par les commissions électorales indépendantes au début des années 1990 a montré ses limites 30 après les années de démocratisation. Il est temps de prendre le courage d’essayer autre chose. C’est dans ce but que je formule les 10 propositions ci-après :

LA DISSOLUTION ET LA LIQUIDATION DE LA CENI

Il est nécessaire aujourd’hui de procéder à la dissolution et à la liquidation de la CENI. L’Article 211 de la constitution qui institue la commission électorale nationale indépendante la charge notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum.
Ces missions peuvent bien être remplies par le Ministère ayant l’Intérieur et la population dans ses attributions si et seulement si ce dernier a la maîtrise sur les données démographiques de sa population.
Etant donné que la matière de l’article 211 ne fait pas partie de celles verrouillées par le constituant, une proposition de loi modificative de la constitution est nécessaire en vue de cette fin.
La dissolution de la CENI sera suivie, après un audit financier, de sa liquidation qui aura pour but de déterminer l’affectation de sa base des données, de ses matériels et de son personnel.

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L’ENGAGEMENT D’OFFICE ET L’AFFECTATION DU PERSONNEL DE LA CENI AU MINISTERE AYANT L’INTERIEUR ET LA POPULATION DANS SES ATTRIBUTIONS

Du référendum de 2005 aux élections de 2018, le personnel de la CEI (devenue CENI) a acquis une très riche expérience tant en matière d’organisation des élections que de la tenue des fichiers électoraux au niveau national, provincial et local. C’est cette expertise qui sera mise au profit du Ministère de l’Intérieur à travers le déversement de tout ce personnel et son engagement d’office en tant que cadres et agents du Ministère de l’Intérieur.

LA CREATION AU MINISTERE DE L’INTERIEUR D’UN SECRETARIAT GENRAL AUX ELECTIONS ET A L’IDENTIFICATION DE LA POPULATION ET LA LIQUIDATION DE l’ONIP

Afin d’éviter le chevauchement au sein de l’Administration, il sera nécessaire de créer un Secrétariat Général en charge des élections et de la population au sein de Ministère de l’Intérieur et d’y affecter le personnel venant de la CENI en nommant un Secrétaire Général, des Directeurs provinciaux, des chefs de division, des chefs de bureau et des agents en leur sein. Le Secrétariat Général à l’Intérieur et à l’identification de la Population sera doté d’une autonomie technique suffisante qui mettra ses agents sous un statut particulier afin de ne pas les mettre à la merci des apesanteurs politiques.
La mise en place de ce Secrétariat Général sonnera le glas de l’Office National de l’Identification de la population qui devra être purement et simplement dissout et liquidé.

LE TRANSFERT AU MINISTERE DE L’INTERIEUR DE TOUTE LA BASE DES DONNEES DETENUE PAR LA CENI

La CENI dispose aujourd’hui d’une précieuse base des données sur les personnes plus que tout autre service (identités, adresses, photos, empreintes digitales etc.) Ces données seront, au moment de la liquidation de la CENI, déclarés comme patrimoine de l’Etat et être transférés au Ministère de l’Intérieur.

LA MISE A JOUR DE LA BASE DES DONNEES DE LA CENI PAR LE MINISTERE DE L’INTERIEUR ET L’OCTROI DES CARTES D’IDENTITE

Le Ministère de l’Intérieur, à travers son Secrétariat Général aux élections et à la population procédera à la mise à jour de la base des données en intégrant les majeurs actuels et les nouveaux majeurs afin de délivrer des cartes d’identité biométriques à tous les citoyens congolais. Ceci mettra définitivement fin aux révisions successives du fichier électorale.
Il ne sera plus nécessaire d’avoir une carte d’électeur pour voter, la pièce d’identité faisant foi devant l’agent du Ministère de l’intérieur affecté au bureau de votre de la commune ou du territoire du votant.

Godefroy K. MWANABWATO

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